C’est la période des fêtes et certains fumeurs se diront aux douze coups de minuit : « J’arrête ! ». Pourtant, il n’y pas plus de personnes qui décident d’éteindre leur dernière cigarette le 1er janvier, que les autres jours de l’année, nous confie Corinne Wahl, directrice-adjointe du centre de prévention du tabagisme, Cipret-Genève. La tabacologue mène une campagne active contre l’industrie du tabac, responsable de millions de morts sur la planète chaque année.
Comment le Cipret accompagne-t-il les personnes qui souhaitent arrêter de fumer ?
Corinne Wahl : Lorsque je suis arrivée au Cipret il y a 14 ans, il y avait peu d’offres pour le sevrage tabagique par des professionnels. Seul l’hôpital cantonal avait initié une consultation spécifique pour l’arrêt du tabac, c’était très insuffisant. A l’époque, j’ai donc commencé à recevoir des patients individuellement, gratuitement, en leur expliquant que le tabagisme, c’est d’abord une maladie et pas un vice. Puis j’ai créé les Mardis du Cipret. Tous les mardis à midi, les personnes qui se posent des questions sur le tabagisme repartent avec des réponses sur les traitements, les méthodes, ce qui marche, pourquoi la dépendance, etc.
Quels sont les traitements justement ?
C.W. : D’abord il faut vouloir arrêter de fumer. Puis accepter que ça marche beaucoup mieux accompagné par des professionnels puisque les chances de réussir son projet doublent. Enfin, il y a des aides médicamenteuses comme les substituts nicotiniques tels que les patchs qui ont largement prouvé leur efficacité lorsqu’ils sont bien utilisés. D’autres molécules sans nicotine agissent sur les mécanismes cérébraux de la dépendance. Désormais, on recommande parfois la cigarette électronique selon le profil des patients. Mais son utilisation est encore bancale car le liquide pour cigarette électronique avec nicotine est toujours interdit à la vente en Suisse de sorte que les vapoteurs s’en procurent sur internet ou dans les pays voisins.
La cigarette électronique à la nicotine n’est-elle pas mauvaise pour la santé ?
C.W. : La nicotine fumée ou vapotée ne tue pas ! Mais elle s’impose très vite comme un dictateur auquel il est difficile d’échapper, c’est le piège de la dépendance. La cigarette classique et ses milliers de composants tueurs intoxiquent le corps, entretenant un état inflammatoire permanent, qui finit mortellement dans la moitié des cas. Concernant la cigarette électronique, on ignore encore l’impact à long terme de certaines substances, le temps nous l’apprendra. Mais ce qu’on sait déjà, c’est que les quelques composants existants sont infiniment moins nombreux et moins dangereux que ceux de la cigarette à combustion. C’est la dose de nicotine qui est recherchée dans le vapotage et probablement, à terme, ces produits deviendront officiellement un mode d’en administrer.
Quels sont les dangers les plus « courants » engendrés par la consommation de tabac ?
C.W. : Le tabac est délétère chez l’humain de la tête jusqu’aux orteils. Il est responsable de millions de morts sur la planète. Le tabagisme tue un consommateur sur deux mais pas immédiatement. Souvent le fumeur reste prisonnier de sa dépendance suffisamment longtemps pour permettre aux maladies tueuses de se déclarer. A force de lutter pour survivre à tous ces toxiques, le corps finit par rendre les armes de la défense et développe un tas de maladies très graves comme des cancers, des maladies cardio et neurovasculaires ou des maladies respiratoires.
Quels sont les chiffres du tabagisme sur le sol suisse ?
C.W. : Dans les années 2000, la Suisse comptait encore 33% de fumeurs. Aujourd’hui 25% de la population de plus de 15 ans fume. Les fumeurs demeurent majoritairement masculins mais les femmes rattraperont les hommes à l’horizon 2020. Et ce qui tue les hommes, tue aussi les femmes, triste égalité. On note une diminution du nombre de cigarettes fumées par jour, 13-14 actuellement, on était à 20, soit un paquet, il y a une dizaine d’années. Mais les chiffres stagnent depuis un moment.
Comment expliquer cette situation stagnante ?
C.W. : En matière de tabagisme, nous avons une politique fédérale inadéquate comparée aux pays les moins fumeurs. Depuis plus de 5 ans, l’écriture de la nouvelle loi englobant toutes les mesures nécessaires pour faire baisser le tabagisme, piétine. Malgré un travail énorme auquel ont déjà collaboré tous les experts en tabacologie de ce pays, suivant les recommandations scientifiques de la Convention-cadre de lutte contre le tabagisme de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), nous n’arrivons qu’à un piètre compromis qui demeure très favorable à une industrie dont les plus importants représentants ont leur siège en Suisse. La nouvelle proposition de texte est une très pâle version des mesures de santé publique indispensables à l’infléchissement du nombre de fumeurs. Considéré comme une épidémie mondiale, le tabagisme suisse a de beaux jours devant lui grâce aux inconséquences du projet de loi dans sa forme actuelle.
L’augmentation du prix du tabac, les restrictions dans les lieux publics ou encore les images sur les paquets seraient donc des mesures efficaces ?
C.W. : Absolument, c’est largement prouvé et ça marche ailleurs ! Quand on fait une augmentation de prix à partir de 10%, la consommation diminue. En-dessous, on rate le bénéfice de santé publique. Alors en Suisse, on s’escrime à faire des augmentations de 5-6% ! Une autre mesure efficace consiste à interdire toute forme de publicité, notamment pendant les festivals fréquentés par les jeunes. Là encore, les mesures annoncées conservent scandaleusement ce droit aux cigarettiers. La marque de cigarette visible sur le paquet est également une forme de publicité. Le couvrir le plus possible, ou mieux le supprimer, diminue son attrait et donc ses ventes. C’est pourquoi certains pays d’avant-garde ont introduit les paquets neutres. Chaque mesure efficace permet d’avancer vers la diminution du tabagisme et c’est leur superposition qui fait la réussite d’une bonne politique de lutte contre le tabac, capable de protéger ses citoyens.
Propos recueillis par Sofia Rossier
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