La crise du coronavirus a brutalement mis en lumière la question de l’approvisionnement en médicaments. Aller chercher des remèdes était devenu tellement simple que l’on en avait oublié le privilège de disposer en Suisse d’un réseau de pharmacies de qualité. Au point qu’il n’était pas rare de penser qu’il en était ainsi partout ailleurs dans le monde, et que nous étions à l’abri de toute pénurie.Voyage dans l’inconnu
A défaut de pouvoir projeter des vacances dans l’immédiat, rien n’empêche de se remettre dans le bain. Les aspects importants de l’organisation d’un voyage présentent qui plus est toute une série d’analogies avec la planification en santé publique, sujet ô combien d’actualité.
C’est ainsi que dans les deux cas, voyages et santé publique, l’impréparation peut aller jusqu’à mettre la vie en danger. On vient d’en vivre l’étendue du désastre avec l’insuffisance de masques pour protéger les professions à risque. Ne parlons même pas du reste de la population.
La vaccination est un autre aspect comparable : en santé publique, les diverses immunisations de base au cours de l’enfance, puis les rappels ultérieurs, sont des mesures préventives indispensables, qui ont contribué à diminuer la mortalité de façon significative. De la même manière avant un voyage, selon la destination, diverses vaccinations sont obligatoires, ou recommandées. Il faut s’y prendre environ deux mois à l’avance pour être dans les temps.
Troisième similitude, la gestion des médicaments. On sait que dans la plupart des voyages surviennent des imprévus, dont beaucoup sont … prévisibles : bagages égarés, petit pépin de santé, vol de retour retardé, etc. C’est pourquoi il est conseillé d’emporter ses médicaments dans son bagage à main, d’avoir une trousse de premiers secours, et de prévoir assez de stock si on suit un traitement régulier. En comparaison, la crise Covid-19 pourrait être assimilée à une espèce de voyage lointain annoncé au dernier moment. Cet événement plus ou moins imprévu a suscité une réaction initiale de désarroi. Les personnes souffrant de maladies chroniques, tout comme les bien-portants du reste, ont craint de manquer et se sont précipités pour faire des stocks de médicaments. Devant ce phénomène, les autorités sanitaires ont dû rapidement édicter des restrictions pour éviter une pénurie auto-générée. Les choses sont maintenant rentrées dans l’ordre, bien que, pour les raisons expliquées plus bas, il y avait déjà pas mal de ruptures de stock de médicaments avant l’épidémie, et qu’il continuera à y en avoir après. Malgré cela, inutile de faire des provisions trop importantes : les dates d’expiration risquent d’être dépassées, le médecin peut décider d’un changement de traitement, les conditions de stockage à la maison ne sont pas forcément idéales (humidité, chaleur, sécurité). Pour avoir un ordre d’idée, des réserves pour maximum 3 mois semblent adéquates, et doivent aussi être adaptées à chaque cas particulier. Enfin, il vaut mieux ne pas attendre la dernière minute pour renouveler ses traitements.
Des cordonniers mal chaussés
Toute florissante que soit l’industrie pharmaceutique de notre pays, les ruptures de stock de médicaments sont en progression constante depuis des années. Comment expliquer ce paradoxe, que la crise actuelle n’a fait qu’exacerber ? L’une des réponses est désormais de notoriété publique: la production de la majorité des médicaments vendus en Suisse et en Europe a été déléguée année après année, en tout ou en partie, à des entreprises chinoises et indiennes. Conséquence visible en ce moment : le marasme qui règne dans les transports perturbe dramatiquement les livraisons. Mais l’augmentation de la demande avait déjà bien auparavant rendu cette dépendance problématique. Les fabricants, ne pouvant satisfaire tout le monde, se sont résolus à faire des choix sur la base de critères tels que la grandeur du marché ou le prix offert. La « petite » Suisse n’a évidemment jamais été compétitive en termes de volumes, mais elle a longtemps compensé ce handicap par un niveau de prix attractif pour les fournisseurs. Or les baisses de prix massives infligées aux médicaments ces dernières années ont fait perdre à la Suisse le peu d’atouts qu’il lui restait. Il faut au moins espérer que la crise du coronavirus conduira l‘ensemble des acteurs à réexaminer l’organisation de la chaîne de production pharmaceutique.