Avide de communication, doté d’une oreille particulièrement développée et d’un formidable talent d’imitateur, votre tout-petit a toutes les qualifications requises pour l’apprentissage de plusieurs langues. Mais pour être efficace, cet enseignement doit respecter certaines conditions et jouir d’une motivation sans faille.
Dans un pays officiellement quadrilingue, l’apprentissage des langues est un sujet constamment au cœur des préoccupations des pouvoirs publics et des citoyens. Selon l’Office fédéral de la statistique, près de quatre Suisses sur dix (âgés de 15 ans ou plus) utilisent deux langues au moins une fois par semaine; ils sont 26% à en pratiquer trois, voire plus. Dans le top 3 des langues pratiquées, tous contextes confondus: l’allemand, le suisse-allemand et le français. L’anglais arrive quant à lui en 4e position. Dans notre société toujours plus mondialisée, la pratique de plusieurs langues est aujourd’hui un atout indéniable, dont certains enfants disposent dès leur plus jeune âge.
Des aptitudes décuplées
Le plurilinguisme des enfants suscite le plus souvent des inquiétudes: risque de confusion mentale, mélange des langues, surcharge cérébrale, difficultés scolaires, etc. Autant de mythes que les chercheurs en sciences cognitives et psycholinguistique tâchent de briser. Car le bilinguisme précoce est aujourd’hui reconnu comme un facteur favorable au développement de l’enfant, tant au niveau de la flexibilité mentale que des capacités attentionnelles. En outre, le cerveau de l’enfant, surtout avant l’âge de 7 ans, ne demande qu’à être sollicité et stimulé. Pendant les premiers mois de sa vie, un enfant est tout à fait capable de distinguer les sons propres à sa langue maternelle d’autres phonèmes appartenant à un autre langage. Immergé très tôt dans des sonorités différentes de sa langue maternelle, l’enfant développera naturellement un goût pour les langues. Par ailleurs, il sera plus enclin à la découverte d’autrui, d’autres cultures, de tout ce qui est différent de son quotidien. Ouverture d’esprit, empathie, grande capacité d’adaptation et flexibilité sont tout autant de qualités développées par les enfants polyglottes.
Un apprentissage adapté
L’apprentissage des langues ne doit cependant pas être pris à la légère: son bien-fondé dépend énormément du contexte familial, des méthodes utilisées et de la motivation de l’enfant. Pour bien assimiler une langue, l’enfant doit l’entendre et la pratiquer quotidiennement, pendant un temps suffisant. En outre, il faut que les différentes langues ciblées soient pratiquées dans des contextes aussi diversifiés que possible (en famille, à l’école, à travers la littérature, la musique, les émissions télévisées, etc.). S’adresser à son enfant dans une autre langue uniquement lors d’accès de colère est évidemment à éviter: la langue en question serait alors directement associée à des émotions négatives. Un apprentissage efficace, surtout pour les jeunes enfants, passe forcément par le jeu: à partir d’une comptine, d’un imagier, il est possible de développer de petites routines pour qu’il apprenne ses premiers mots. Les mélodies aident à la mémorisation. De nombreuses écoles de langues pour tout-petits s’appuient d’ailleurs sur des chansons traditionnelles, appréciées des enseignants pour leur vocabulaire riche et leur phonétique. Jouer des scènes de la vie courante, sous forme de dialogues, est également une bonne méthode d’enseignement.
Une régularité difficile à tenir
Bien qu’un enfant soit capable d’assimiler une nouvelle langue très rapidement, sans contact régulier avec celle-ci, elle finira par disparaître tout bonnement de sa mémoire. La difficulté est de ne pas lasser l’enfant: l’apprentissage d’une langue repose beaucoup sur la répétition, il faut donc réussir à varier les activités pour ne pas faire place à l’ennui. Bien entendu, une langue s’apprend de façon régulière, sur la durée. Inutile de lui faire apprendre 5 langues en un an, pour ne plus les utiliser par la suite! Entretenir chacune des langues est un exercice difficile. Forcément, l’enfant ne pourra pas maintenir un même niveau de maîtrise pour chacune d’entre elles; l’une prendra forcément le pas sur les autres (on parle alors de langue dominante). La situation idéale du bilinguisme étant lorsque l’un des deux parents est originaire d’un autre pays: chacun peut alors s’exprimer dans sa langue d’origine à son enfant et ce, dès la naissance. Cette méthode, appelée principe de Ronjat (du linguiste français Jules Ronjat), permet à l’enfant d’accéder rapidement à un bilinguisme équilibré. A contrario, dans les familles de migrants, sous la pression sociale, les parents abandonnent trop souvent leur langue maternelle pour ne garder que la langue du pays habité avec leur enfant. Pourtant, l’expérience clinique amène aujourd’hui les chercheurs à recommander la transmission et la pratique de la langue maternelle : sa maîtrise permet en effet une structuration de savoirs qui facilitent ensuite l’acquisition de la langue du pays d’accueil. Chaque nouvelle langue est une ouverture supplémentaire au monde : accompagner son enfant dans le plurilinguisme c’est lui offrir de solides appuis pour son futur parcours de vie.
Bibliographie:
– Couëtoux-Jungman, Francine, et al. «Bilinguisme, plurilinguisme et petite enfance. Intérêt de la prise en compte du contexte linguistique de l’enfant dans l’évaluation et le soin des difficultés de développement précoce», Devenir, vol. 22, no. 4, 2010, pp. 293-307.
– Hélot, Christine, et Marie-Nicole Rubio. Développement du langage et plurilinguisme chez le jeune enfant. ERES, 2013
Fleur Brosseau | Contenu & Cie
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